PORTRAIT – Depuis le début de la pandémie du Covid-19, le personnel soignant dans son ensemble a fait preuve d’un courage sans faille afin de prendre soin de ces malades aux besoins très spécifiques tout en continuant à prendre en charge les autres. Les pharmaciens et les pharmaciennes ont eu un rôle central en recevant les citoyen.ne.s lorsqu’ils étaient en proie au doute ou malades afin de les conseiller et de les orienter. À travers cet article, Pharmaciens sans Frontières Suisse souhaite leur rendre hommage en décrivant leur investissement. L’association s’est donc entretenue avec Marie-Carmen JOSEFOVSKI, pharmacienne indépendante à Malagnou (Suisse) et co-fondatrice de PSF Suisse, qui revient sur son activité pendant cette période covidienne et nous confie les difficultés, les défis ainsi que l’amour qu’elle porte à son métier. Rencontre !


Lorsque l’on discute avec Marie-Carmen JOSEFOVSKI, la passion pour son travail devient palpable tellement elle transparaît dans son récit, ses anecdotes, ses mots choisis.

Cette pharmacie, c’est ma petite entreprise. Je suis en raison individuelle et indépendante. C’est assez rare je crois.

Marie-Carmen reprend cette pharmacie en 1997, découvrant sur le tas les aléas de la gestion d’entreprise. Elle développe des relations privilégiées avec sa clientèle qu’elle conseille et aide, ainsi qu’avec ses collaborateurs et collaboratrices. Rapidement, le caractère humain de Marie-Carmen est une évidence. Elle aime son travail, oui, et elle aime le contact humain, le conseil médical, le soin. Elle recherche le bien-être de ses client.e.s. C’est ce caractère altruiste qui la pousse en 1992 à fonder Pharmaciens Sans Frontières Suisse avec d’autres jeunes pharmaciens, notamment Sabina Sommaruga.

Dévouement, passion, altruisme, des ingrédients de poids en cette période covidienne.

Début du confinement, ou la mise en place de mesures de sécurité dans le flou

Marie-Carmen revient sur les débuts du confinement. En effet, il a fallu s’organiser rapidement afin d’assurer la sécurité des collaborateurs et des clients. Cette situation a été compliquée parce qu’ « au début, il y a eu très peu d’appui des autorités ». Les pharmaciens et pharmaciennes naviguaient à vue et Marie-Carmen a pu compter sur l’entraide et le soutien de ses ami.e.s de la profession pour compenser des directives peu claires. Elle revient notamment sur une anecdote concernant l’aménagement des locaux : « Le samedi avant le confinement, on sentait déjà le vent tourner, sans savoir exactement quelle serait l’importance des exigences et des directives. Christophe Berger [ndlr. Secrétaire de PSF Suisse et Président de la Société Vaudoise de pharmacie] m’a envoyé des photos et des conseils sur l’aménagement des locaux et des distances de sécurité. Il avait déjà tout préparé dans son officine a partagé avec moi les mesures qu’il avait prises pour que je puisse faire de même. Ça m’a beaucoup aidée ! ».

Il avait déjà tout préparé dans son officine a partagé avec moi les mesures qu’il avait prises pour que je puisse faire de même. Ça m’a beaucoup aidée !

Ce sont donc grâce à ces informations et à l’appui de son frère, qui est venu pour le bricolage, que Marie-Carmen a pu installer les plexiglas et les traçages au sol pendant le weekend. Par la suite, il a fallu mettre en place des règles au sein de la pharmacie et réduire ses équipes tout en limitant le nombre de clients dans la pharmacie à 2 au maximum. Marie-Carmen a également augmenté son service de livraison gratuit dans le quartier. Elle a parfois d’ailleurs été elle-même apporter certains médicaments à des habitué.e.s, les journées étaient donc remplies et épuisantes.

Le port du masque, un débat angoissant

Marie-Carmen est également revenue sur le débat autour du port du masque. Cette question à elle seule était une source de stress et de frustration : en tant que membres du personnel soignant, faut-il porter le masque ou non ? Si aujourd’hui la question est tranchée, aux mois de mars et d’avril, le débat était retentissant. Les masques étaient alors une denrée extrêmement rare, bien plus qu’aujourd’hui, et il a été conseillé aux pharmaciens de ne pas en porter avant de préciser qu’il était important de le faire uniquement s’il y avait un contact rapproché avec le client (pour une prise de tension par exemple).

Cette situation nous a d’ailleurs soudé. Les liens sont aujourd’hui plus forts !

Cette situation n’était pas sans conséquences psychologiques parce que la peur et l’angoisse de voir son équipe contaminée empêchait Marie-Carmen de trouver le sommeil. Avec une équipe composée de 5 personnes, il était parfois difficile d’imaginer comment se passerait la suite si jamais les collaborateurs tombaient malades et qu’ils n’étaient plus possible d’assurer la prise en charge de la clientèle. Le Covid-19 était effectivement l’inquiétude principale mais elle n’était pas la seule. Il fallait aussi continuer à être là pour tous les clients souffrant de pathologies nécessitant un suivi régulier. Marie-Carmen pensait à eux ! Heureusement, le port du masque en officines s’est élargi et comme le dit Marie-Carmen, « cette situation nous a d’ailleurs soudé. Les liens sont aujourd’hui plus forts ! ».

La prise en charge des client.e.s en période covidienne

Marie-Carmen nous raconte aussi comment la prise en charge des client.e.s a parfois été difficile pendant cette période de distanciation physique.

En premier lieu, en raison de l’abondance soudaine. « Au début c’était la panique totale ! Il y a eu beaucoup de commandes de médicaments. Comme personne ne savait vraiment comment cela évoluerait, les client.e.s voulaient faire des stocks. Nous devions leur expliquer qu’il n’était pas possible de leur fournir des réserves trop importantes si nous voulions pouvoir assurer une disponibilité de traitements pour tous. Les premiers jours, nous avons eu une augmentation très importante de la clientèle. Nous faisions le double de travail avec une équipe réduite, c’était de la folie ! ». Il y a eu des vagues de fréquentation. Pendant 3 semaines la pharmacie a tourné à plein régime, au point que les fournisseurs ne suivaient plus, puis il y a eu une chute importante du nombre de clients en avril et un retour progressif au mois de mai, avec les phases de déconfinement (la phase 1 a commencé le 27 avril et la phase 2, le 11 mai).

Nous faisions le double de travail avec une équipe réduite, c’était de la folie !

La sensibilisation était un autre point de prise en charge des client.e.s. Il fallait parfois expliquer comment se laver les mains correctement, la façon adéquate de porter le masque ou encore les symptômes du Covid-19 : « Quand un client d’un certain âge est venu pour un sirop contre la toux alors qu’il avait perdu le goût et l’odorat, j’ai dû lui expliquer l’importance qu’il appelle son médecin et prenne des mesures pour se protéger et protéger les autres. »

Il fallait également rappeler aux gens de se soigner « Une observation a été évidente assez rapidement : des personnes devant aller voir le médecin ou aller aux urgences refusaient de s’y rendre par peur. Donc on a vu des personnes ne pas se soigner alors que le besoin était là ! Je me souviens par exemple du cas d’une jeune femme mordue par son chat : elle a catégoriquement refusé d’aller aux urgences. J’ai donc dû insister, la convaincre, lui expliquer qu’il y avait une prise en charge pour le Covid-19 et une autre pour les autres patients et que ça allait bien se passer. Elle est finalement revenue avec un bandage et une ordonnance pour  un antibiotique. Je crois que c’est un dommage collatéral important qu’il faudra prendre en compte : des pathologies se sont sans doute aggravées en raison de la peur du Covid-19, la sensibilisation était donc plus que nécessaire. »

Le calme après la tempête ?

Je ne vais pas te cacher qu’une à deux fois, j’ai eu les larmes aux yeux pendant les applaudissements. Je les prenais aussi pour moi et cette reconnaissance était réconfortante.

Actuellement, Marie-Carmen et son équipe se sentent fatiguées. Néanmoins, les liens ont été renforcés et Marie-Carmen est fière de ce qui a été fait dans cette période. De plus, elle a le sentiment que « l’on a donné un sens au rôle du pharmacien, que l’on a rendu un service à la population ». Si elle a parfois eu le sentiment que les pharmacien.ne.s étaient les oublié.e.s du réseau de prise en charge du patient.e, elle repense avec émotion aux applaudissement du peuple helvétique tous les soirs à 21h : « Je ne vais pas te cacher qu’une à deux fois, j’ai eu les larmes aux yeux pendant les applaudissements. Je les prenais aussi pour moi et cette reconnaissance était réconfortante. »

Alors, après tous ces aléas, Marie-Carmen veut retenir le positif : « Je veux continuer à faire mon métier et je souhaite que le rôle du pharmacien.ne de proximité soit pleinement reconnu dans le système de santé. J’espère aussi que cette crise nous pousse vers un monde plus solidaire et humain, qui sait ? »

C’est tout ce que l’on peut se souhaiter, effectivement !

Merci beaucoup à Marie-Carmen JOSEFOVSKI pour avoir répondu aux questions de PSF Suisse.

Propos recueillis par Sonia RODRÍGUEZ.